Le royaume prospère d'Aurora est plongé dans l'incertitude depuis la mort du roi Magnus II Whiteclaw. La reine Ravenna Dragonbreak règne d'une main de fer, obsédée par une prophétie prédisant sa chute. Au sein de la cour royale, les grandes familles, telles que Dragonbreak, Whiteclaw, Sandmar et Irondusk, tissent des alliances fragiles et des complots secrets.

La famille Warcross, survivante de la lignée Bloodhunter, vit paisiblement à Forestcave, éloignée des intrigues de la cour. Lors de la fête de la chasse annuelle, le gouverneur de Luttange, Erold Crighton, tente de marier son fils à l'une des jumelles Warcross pour renforcer sa position.

Des événements dramatiques se déroulent pendant la fête, notamment la tentative d'intimidation de Crighton, le sauvetage d'Elyra par Elias (lieutenant du gouverneur et héritier exilé de la famille Sandmar), et le duel judiciaire entre Elias et l'Ombre du gouverneur.

Le gouverneur Crighton est déjoué, perdant le duel et son Ombre au profit des Warflame. Léandre, furieux, tente en vain de faire enlever les jumelles. Elias révèle son identité et se place du côté des Warflame.

Finalement, Elyra accepte la demande en mariage du prince Léoric, ajoutant une touche romantique à cette saga pleine de mystères, de complots et de rebondissements.

Elyra flottait sur un petit nuage en tenant la main de son fiancé, le prince Léoric, alors qu'ils traversaient la salle de bal à la recherche de sa mère et de sa sœur pour partager la merveilleuse nouvelle. Cependant, ne les voyant pas parmi les festivités, elle fronça les sourcils, une boule d'inquiétude naissant soudainement dans son ventre.

Son cœur battait un peu plus fort à chaque instant où elle cherchait les visages familiers de sa famille. Elle se demandait où pouvaient bien être sa mère, Mary, et sa sœur, Alyna, en cette soirée qui aurait dû être remplie de joie et de célébration. Léoric, sensible à son changement d'expression, ressentit également une légère tension dans l'atmosphère.

Inquiète, Elyra s'arrêta un moment, balayant la salle du regard. Elle cherchait des indices, écoutant attentivement les murmures et les rires, espérant repérer la silhouette familière de sa mère ou le sourire éclatant de sa sœur parmi les invités masqués.

La salle de bal, autrefois remplie de musique et de rires, semblait soudainement silencieuse pour Elyra. Elle se tourna vers Léoric, lui faisant part de ses préoccupations d'un regard. Les questions se bousculaient dans son esprit, et elle se demandait si quelque chose de plus sinistre se tramait dans l'ombre de la fête.

Alyna avait fait une entrée discrète au côté de sa soeur. Vêtue d'une élégante robe de soie bleue dégageant ses épaules, le visage de la jeune fille était dissimulé par un élégant masque à bec de chouette. Elle n'avait guère pris le temps de discuter avec les princes de Nörse, laissant ce soin à sa soeur qui n'avait d'yeux que pour Léoric. Les hommes du Nord étaient bien trop reconnaissables : grand, la carrure imposante, la posture fière. Après avoir pris une coupe de vin, elle n'avait guère tardée par s'éloigner en posant un regard protecteur sur sa jumelle. Cette dernière rayonnait sur la piste de danse et ce constat la réjouit tout autant qu'il la peina. Elle se doutait de la suite : sa soeur se marierait et partirait vivre à Nörse où elle deviendrait reine. Quel serait son destin après le départ de sa soeur ? Il y a une semaine de cela, elle n'aurait jamais imaginé se poser la question. L'air pensif, elle contemplait le liquide rouge dans sa coupe dorée.

La fête battait son plein. L'événement avait attiré plus de monde qu'escompté, mais rien que leur mère n'avait prévu. Alyna vit les serviteurs remplir les verres, compléter les plateaux de plats et de petits fours. Certains invités devenaient de plus en plus enthousiastes, enhardit par l'alcool. La jeune femme contemplait tout ceci avec une moue boudeuse : Léoric était entièrement tourné vers Elyra ; Valderic était aux prises avec des femmes qui correspondaient à l'idée qu'Alyna se faisait de courtisane ; quant à Erys, celle-ci avait à nouveau disparue, sans doute pour mieux observer. Alyna profita de l'ambiance pour s'éclipser sur la terrasse à l'arrière du manoir, ne se doutant pas qu'elle aviverait l'inquiétude de sa mère et de sa sœur les minutes qui suivraient. Elle ne s'amusait pas, à quoi bon faire semblant ? Cette soirée sonnait le glas de leur enfance et leur entrée dans la vie adulte ne se faisait pas sous les meilleurs auspices.

Le prince de Nörse se tenait en conquérant au côté de sa jeune fiancée dont il pouvait percevoir l'inquiétude sans grand peine. Les derniers jours avaient été particulièrement éprouvants. Il pouvait encore sentir la tension dans la pression qu'elle exerçait sur son bras. Il posa ses doigts sur les siens, soufflant : "Ne vous inquiétez pas tant Elyra, elle ne doit pas être bien loin." sa voix était douce, mais assurée. Il y avait mille possibilités, mille explication qui pouvait expliquer l'absence d'Alyna. Où était donc son frère ? Celui-ci l'avait peut-être vu ? Il chercha Valderic du regard, fronçant les sourcils en le voyant en bonne compagnie. Pouvait-il l'interrompre ? Valderic avait toujours été à l'aise avec la gent féminine, ce qui n'avait jamais été son cas. Il fit un signe à son frère, espérant attirer son attention, reposant à nouveau sa main sur celle de sa compagne pour l'apaiser : "Nous allons la retrouver, ne vous en faites pas."

Valderic profitait de la fête avec son habituelle insouciance, entouré des plus belles femmes et des plus extravagantes attractions. Cependant, en tant que guerrier, il restait toujours attentif à son environnement, ainsi qu'à celui de son frère aîné, le futur suzerain. Voyant que son frère n'avait pas besoin d'aide avec la jeune Elyra, Valderic s'était simplement retiré en arrière-plan, en profitant pour déguster quelques coupes de vin. Lorsque son frère revint parmi les convives et lui fit signe, Valderic s'excusa auprès des femmes avec lesquelles il avait entamé un jeu de séduction pour s'approcher de lui, légèrement surpris.

"Que se passe-t-il, mon frère ?" demanda-t-il, curieux de connaître la raison de cet appel.

Léoric attendait que son frère s'approche, son regard balayant la salle de bal où il avait vu Mary Warcross s'éclipser - sans doute pour partir à la recherche de son aînée. La main posée sur celle de sa fiancée, maintenant toujours le contact entre elle et lui, il tourna son regard acier vers son frère lâchant : "Aurais-tu, par hasard, vu Mademoiselle Alyna ? Elle semble avoir disparu et ne s'être adonné à aucune des activités de la soirée." Leur benjamin semblait également s'être éclipsé. Théodoric était sans aucun doute le plus revêche d'entre eux et, s'il s'était montré discret pendant ces premiers jours, il s'opposait farouchement à l'opération consistant à sauver des jeunes filles d'un mariage dont elles ne voulaient pas. Il était bien plus sauvage et attaché aux terres de Nörse que ses deux aînés, ayant rapidement le mal du pays. Il se pencha vers son frère, sifflant sur un ton de reproche : "Et si tu pouvais éviter de te donner en spectacle..."

Elyra, ignorante du fait qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter pour sa sœur jumelle et encore sous le choc des émotions de la semaine de chasse, acquiesça lorsque Léoric lui assura que tout allait bien et qu'ils la retrouveraient. Cependant, leur récente capture par le gouverneur laissait à son esprit jeune le loisir d'imaginer les pires scénarios.

Lorsque Léoric posa sa main sur la sienne pour la rassurer, Elyra s'efforça de calmer les battements frénétiques de son cœur et sa respiration haletante pour se concentrer. Possédant le même don magique que sa mère, bien que peu le sachent, elle avait développé au fil des années un lien profond avec sa jumelle. Sans le vouloir, grâce à cette connexion, elle pénétra dans l'esprit de cette dernière et ressentit la nostalgie qui l'envahissait en cette soirée ennuyeuse. Elle resta alors silencieuse, contemplant sa main entre celles de son fiancé, réalisant à quel point leur vie avait subitement basculé dans le monde adulte.

Après un léger soupir, elle caressa doucement les doigts de Léoric pour le calmer. "Je sais où est Alyra... Si vous me le permettez, je vais lui parler."

Bien que cela ne lui fournisse pas l'emplacement de sa mère, Elyra supposait que cette dernière devait s'occuper des détails de la fête impressionnante et réapparaîtrait bientôt. S'inclinant avec grâce en signe de respect envers les deux princes, elle se détourna pour se diriger vers le balcon où sa sœur avait probablement trouvé refuge. Un frisson la parcourut lorsqu'elle sortit à l'air frais de la nuit, déjà piquant en cette saison.

"Je savais que je te trouverais ici," déclara-t-elle avec un sourire complice, bien que des sentiments plus complexes se dissimulaient derrière cette expression.

Valderic observa la jeune demoiselle s'éclipser avec un sourire calme, puis lança un regard amusé à son aîné :

"Moi qui pensais que tu avais enfin compris le sens du mot 's'amuser' en te voyant sur la piste de danse plus tôt, j'ai dû me tromper."

Le jeune prince n'avait pas manqué une miette de la scène de la demande en mariage de son aîné, se sentant rassuré par la réponse favorable qu'elle avait reçue, bien qu'il n'ait jamais vraiment douté du résultat. Après tout, c'était l'objectif initial de leur venue, et il aurait été malheureux qu'ils rentrent tous les trois les mains vides. De plus, il semblait évident que Elyra Warcross partageait les sentiments de son frère.

Donnant un coup de coude à son aîné pour le féliciter, Valderic lui adressa un sourire plus large :

"En outre, tu sais bien que je suis toujours sage comme une image."

Cette affirmation, plus qu'ironique, fut soulignée par un éclat de malice dans ses yeux.

Alyna ne ressentait pas le froid, malgré ses épaules nues. Appuyée contre la rambarde sculptée du balcon, son regard cristallin était posé sur la sombre forêt de son enfance. Celle qu'elle et sa soeur avait parcourue en long, en large et en travers à pieds, comme à cheval. Elle sentait son cœur se serrer à la pensée qu'elle serait bientôt la seule à arpenter ces chemins qui avaient abriter leurs jeux d'enfant. Elle poussa un profond soupir, avant de sentir la présence de sa soeur dans son dos. Du revers de la main, elle essuya les quelques larmes qui lui brûlaient les yeux. Ses lèvres esquissèrent néanmoins un sourire forcé alors qu'elle lâchait d'une voix encore tremblante :

"Tu me trouves toujours." elle fit une brève pause et reprit : "J'avais juste besoin d'air. Ces derniers jours ont été... éprouvants."

D'une sorte d'insouciance, elles avaient basculé dans la vie d'adulte, déjouant des complots et des pièges mortels. Forcées au mariage, enlevées, spectatrices et actrices bien malgré elles. Alyna sentait que désormais ces événements ne seraient plus si anodins. Elle se tourna vers sa soeur, exposant sa peau pâle aux rayons de la pleine lune qui éclairait la scène comme si elles étaient en plein jour :

"Tu as l'air bien heureuse et je crois savoir pourquoi."

S'approchant de sa sœur jumelle avec un pas silencieux, Elyra vint se tenir à côté d'elle sur la rambarde, prenant doucement sa main froide dans les siennes encore chaudes, serrant son épaule contre la sienne en silence. Elle ne pouvait nier être touchée par l'émotion de sa sœur, voire même attristée de la voir ainsi s'ennuyer et se morfondre, alors qu'elle-même savourait encore la demande que Léoric lui avait murmurée à l'oreille quelques minutes auparavant, un sourire étirant malgré elle ses lèvres.

Serrant un peu plus fort les doigts de sa sœur dans les siens, elle tenta de lui transmettre un peu de réconfort. Elle esquissa un sourire lorsque Alyra lui fit remarquer son air béat et évoqua ce qui en était la cause.

"Oui... Il m'a demandée en mariage."

Et dire que cette soirée avait été organisée sans aucun doute pour cela... Son regard se perdit au loin, au-delà des bois qui avaient été le théâtre de leur insouciance perdue, s'imaginant déjà explorer les étendues gelées en compagnie de sa sœur jumelle. Non, elle n'envisageait pas de partir sans elle. Être séparée d'elle était impensable.

Les doigts serrés dans ceux de sa soeur, Alyna percevait les bruits de la fête. Pour Forestcave, c'était l'événement du siècle, mais la jeune femme ne pouvait qu'imaginer ce que donnerait une véritable réception dans la capitale. Un nid de vipère, sans aucun doute. Mais elle en avait déjà eu un bref aperçu avec le gouverneur et ses petites manigances. Elle ne parvint pas à dissimuler son trouble lorsqu'Elyra lui annonça la bonne nouvelle. Certes, elle se réjouissait pour son bonheur ; tomber amoureuse devait être un sentiment bouleversant et elle lui souhaitait de vivre heureuse, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser à la séparation que cela impliquait.

"C'est merveilleux Elyra. Je suis très heureuse pour toi."

Elle détourna le regard, contemplant cette lune pleine qui dominait le paysage. Pensive, elle plissa les yeux. Il lui sembla apercevoir des torches au loin, mais elle préféra penser qu'elle les avait imaginer. Elle ajouta :

"Quand partirez-vous à Nörse ?"

Les princes n'avaient pas l'air de vouloir s'attarder plus longtemps ici. Elle avait à peine croisé Valderic. Quant au dernier... elle n'était même pas sûr de son nom en vérité. Ils voudraient sans doute achever leurs affaire à Nörse rapidement.

Bien qu'Alyna lui ait affirmé être heureuse pour elle, Elyra avait senti que sa sœur n'était pas entièrement sincère quant à ses sentiments concernant la demande en mariage qu'elle venait de recevoir du prince Léoric. Toutefois, elle n'insista pas et ne se permit pas de fouiller son esprit pour le savoir. Elle mit en vérité cela sur le compte de leur prochain départ de ce qui était le bastion de leurs ancêtres, le manoir de leur enfance, le royaume qui les avait vues naître.

Elle s'apprêtait à répondre à sa question quand elle saisit une nuance subtile. Alyna n'avait pas utilisé leur habituel "nous". Soudainement, elle sentit son cœur se serrer alors qu'un fossé qu'elle n'avait jamais imaginé possible se creusait entre elles : celui d'une séparation et de la distance. Elle bafouilla :

"Nous... Nous... Je..."

Elle. Elle seule partirait bientôt pour Nörse. Elle seule franchirait les monts enneigés. Elle seule avait à présent un avenir qui l'attendait dans la cité qu'on appelait la forteresse des glaces, Whitehall.

Elle baissa les yeux, l'estomac noué, serrant un peu plus fort les doigts de sa jumelle comme si cela pouvait les lier l'une à l'autre à jamais. Elle sentit sa vue se troubler soudainement de larmes, secouant la tête :

"Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous comme tu l'avais dit ? Tu pourrais trouver un époux digne de toi là-bas... Comme tu l'avais dit..."

Son cœur si joyeux quelques instants plus tôt était à présent déchiré, déchiré entre son inséparable sœur et le prince qu'elle aimait, déchiré entre deux amours forts, bien plus forts qu'elle. Elle la regardait, espérant en vain qu'elle répondrait par l'affirmative, mais elle comprenait à présent que si elle avait dit cela, c'était pour ne pas s'interposer à son bonheur. Et elle, égoïstement, elle n'avait rien vu. Naïvement, elle avait cru.

Léoric n'avait guère insisté pour retenir sa promise. Il ignorait encore toute l'étendue de ses pouvoirs qui, d'un regard extérieur, pouvait passer pour de la sensibilité. Il l'observa quitter la pièce, la couvant d'un regard jaloux. Une fois hors de vue, il se tourna vers son cadet, dardant sur lui un regard glacial :

"Ma notion d'amusement n'est pas la même que la tienne. Où diable est Théodoric ?" fit-il d'un ton agacé, cherchant le petit dernier de la fratrie dans la foule. Il ne devait pas être bien loin. Léoric fut tiré de ses pensées par le "léger" coup de coude de son frère. Il lui envoya une "délicate" bourrade - du moins aussi délicate que pouvait le faire un Warflame - avant de poursuivre : "C'est ce que mère croit encore, malgré tes nombreux méfaits. Tu n'es qu'un truand." dit-il avec une pointe d'amusement dans la voix. Posant une main ferme dans son dos, il le guida au buffet pour boire un dernier verre afin de célébrer l'événement.

"Après cela, il nous faudra rentrer à Nörse. Si ce que tu as dit est vrai... de nombreux obstacles nous attendent." Léoric n'avait pas oublié le complot dont il aurait bien pu faire l'objet. Il avait toujours pensé que sa famille était populaire à Nörse. Après tout, ils avaient ramenés la liberté et l'autonomie à leur territoire il y a plus de trois générations.

Valderic observa son frère aîné s'impatienter face au caractère asocial de leur benjamin, qui préférait probablement rester dans leurs appartements plutôt que de participer à la vie mondaine.

"Tu sais bien qu'il a encore une autre vision de ce qu'est l'amusement que toi et moi."

Il se laissa entraîner vers le buffet en riant, se saisissant d'une nouvelle coupe pour célébrer les récentes fiançailles de son aîné. Il trinqua à ces dernières sans dire un mot, laissant les toasts et les grands discours pour plus tard. Son frère avait déjà l'esprit tourné vers leur retour et ce qui les attendait à Whitehall. Le visage joyeux du prince s'assombrit soudainement alors qu'il se souvenait du complot qu'il avait déjoué quelques semaines plus tôt.

"Depuis la mort de certaines personnes, les rebelles semblent avoir besoin de se réorganiser... Toutefois, en nous attardant trop, nous laissons père seul et donc exposé."

Les obstacles seraient à venir, mais il aurait préféré pouvoir profiter encore un peu du sud et de son ambiance agréable. En sirotant sa coupe, il songeait à cette mission dont il se sentait désormais investi : protéger sa famille et son royaume.

Le regard perdu dans le vague, Alyna pressa ses doigts contre ceux de sa soeur. Elle pouvait ressentir sa détresse, ces choses qu'elle n'avait pas encore envisagées se bousculer dans son esprit. Elle esquissa un sourire triste :

"Je sais ce que j'ai dit. Mais tu ne te serais pas autorisée à développer ces sentiments naissants, je le sais et toi aussi."

Alyna n'avait jamais envisagée une seconde de partir pour Nörse. Sa place était ici, auprès de sa famille. Elle ne se sentait pas prête à la quitter, même pour accompagner sa soeur jumelle. Elle avait la gorge nouée pour la tristesse, craignant d'avance la séparation qui s'avérerait déchirante. Elle souffla :

"Tu dois y aller sans moi. Et je dois construire ma propre vie ici, à Forestcave. Avec ou sans mari."

Et puis, elle n'avait jamais aimé le froid. Ni la neige d'ailleurs.

Les mots d'Alyna avaient touché une corde sensible chez Elyra. Si elle avait su que sa sœur n'avait aucune intention de quitter Forestcave et le foyer familial, elle aurait peut-être envisagé différemment son engagement envers le prince. Elyra ne put retenir ses larmes qui menaçaient de submerger ses yeux. Elle détourna le regard, laissant planer l'ombre de ce qui aurait pu être. Mais elle savait que ces pensées ne mèneraient à rien de bon. Elle ne pouvait pas rompre ses fiançailles sans remettre en question la parole donnée, la sienne et celle de son père qui avait déjà approuvé l'union.

Elle se laissa alors guider par les paroles de sa sœur, sentant le poids de la résignation s'abattre sur ses épaules. Elle devait partir, même si elle s'y refusait au plus profond d'elle-même. Son devoir la poussait à accepter cette réalité, à laisser derrière elle sa sœur bien-aimée. Malgré son propre mariage imminent et les responsabilités qui l'attendaient, elle se sentit soudainement comme une enfant cherchant refuge dans les bras de sa jumelle. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle réalisait que peut-être, sa sœur ne connaîtrait jamais d'union conjugale, demeurant fièrement indépendante.

"J'aurais souhaité que nous ne soyons jamais séparées..."

Elle serra sa sœur dans ses bras, luttant contre les larmes qui menaçaient de couler, partagée entre la tristesse de leur séparation imminente et la douceur de cet instant de tendresse entre elles.

Les bras serrés autour de sa sœur, ses doigts effleurant la soie dans laquelle était taillée sa robe, Alyna peinait à contenir les larmes qui menaçaient de la submerger. Bien qu’elle n’eût aucun doute sur sa décision, cela ne la rendait pas plus facile. C’était les derniers événements qui la poussaient vers ce choix, la faute du gouverneur et de son implacabilité, la faute de la reine et de ses machinations diaboliques. Une étincelle de colère jaillit dans le creux de son ventre, une colère qui – un jour – pourrait être dévastatrice. Pour l’heure, elle préféra l’étouffer, s’écartant doucement de sa sœur les yeux brillants :

"C’était un vœu pieu que de l’imaginer, mais je l’aurais souhaité moi aussi."

Sa voix se brisa sur ces derniers mots, bien malgré elle. Et même si elle s’autorisait à laisser libre court à sa tristesse, elle ne voulait pas risquer que sa sœur ruine son bonheur pour peut-être quelques semaines ou quelques mois de complicité sororale. Le gouverneur n’en resterait pas là. Tous le savaient, il n’était pas homme à se faire humilier de la sorte. Alyna reprit les mains de sa sœur et tenta, sur un ton plus léger :

"De toute façon, je n’ai jamais supporté le froid. Tu te rappelles de l’hiver dernier ? J’ai supplié père de m’envoyer au sud parce qu’il était devenu impossible de monter avec tout ce verglas."

Et puis, elle aimait beaucoup trop Forestcave, ses étendues de verdure, les petites rivières sauvages dont elle avait la connaissance la plus secrète.

"Je veux juste que tu sois heureuse. Heureuse et protégée."

Les deux sœurs étaient enlacées sous la douce lumière de la lune, leurs larmes brillant comme des étoiles sur leurs joues. Elyra savait que sa sœur avait agi dans son intérêt, cherchant son bonheur et sa sécurité. Les menaces de Léandre résonnaient encore dans son esprit, le gouverneur et son fils n'allaient probablement pas rester inactifs, surtout si ce dernier survivait à ses blessures. Heureusement, son prochain mariage avec le prince Léoric la mettait à l'abri d'une union non désirée et oppressante. Après tout, on ne pouvait pas refuser une demande en mariage d'un prince.

Leur mère, Mary, les découvrit ainsi, enlacées l'une dans les bras de l'autre. Elle fut soulagée de les voir en bonne santé, mais s'inquiéta en voyant leurs yeux rougis et leurs joues humides. S'approchant d'elles avec sollicitude, elle essuya doucement leurs larmes d'un geste maternel.

"Mes chéries, tout le monde vous cherche...", commença-t-elle, avant de remarquer leur état émotionnel. "Pourquoi ces larmes, mes chères enfants ?"

Elyra sentit un mélange de bonheur et de chagrin alors qu'elle partageait la nouvelle avec sa mère :

"Le prince a demandé ma main..."

Avant qu'elle puisse ajouter quoi que ce soit, les yeux de sa mère s'illuminèrent de joie. C'était une merveilleuse nouvelle qu'elle leur annonçait là ! Elle comprit également la raison de leurs larmes. La perspective d'une séparation imminente pesait sur leurs cœurs. Mary embrassa le front de chacune d'elles avec tendresse avant de déclarer :

"Allez, essuyez ces larmes et rejoignons nos invités."

Elles ne rajoutèrent rien de plus, perdues dans les bras l’une de l’autre. Il n’y avait pas assez de mots pour dire la peine qu’elles ressentaient toutes les deux à la perspective de cette séparation. Alyna n’avait pas entendue sa mère entrer sur la terrasse. Elle laissa ses doigts effleurer ses joues et essuyer les larmes qui creusaient des sillons profonds sans qu’elle ne puisse les empêcher de continuer de couler. La situation lui transperçait le cœur. Et en même temps, elle n’ignorait rien des sentiments qu’avaient sa sœur pour le prince. Et quel prince ! Le futur héritier du royaume de Nörse. En vérité, elle ne pouvait que se réjouir de l’avenir que celui-ci offrirait à sa sœur. Celui d’une princesse. Celui d’une reine.

Elle hocha la tête en entendant sa mère leur demandant de rejoindre la grande salle. Elles ne pouvaient décemment rester longtemps à l’écart si elle ne souhaitait pas que leurs invités en prennent ombrage. Alyna inspira pour se donner du courage, prenant le bras de sa jumelle après avoir remis son masque sur son nez. Il avait l’avantage de dissimuler ses joues rougies par l’émotion et d’atténuer la rougeur de son regard.

« Allons-y, vous avez raison mère. »

Les trois jeunes femmes revinrent dans la salle de bal qui semblait en proie à une certaine agitation. Que se passait-il ?

Pendant l'absence des trois femmes de la famille Warcross, leurs craintes se matérialisèrent sous la forme d'un messager royal, un soldat enveloppé dans sa cape rouge, galopant à bride abattue. Alyna avait aperçu ce messager au loin, équipé d'une torche pour s'orienter sur les chemins forestiers menant au manoir familial. Il fit irruption dans la salle de réception sans cérémonie, s'avançant parmi les convives surpris qui s'écartaient craintivement sur son passage jusqu'au maître des lieux. Celui-ci l'accueillit avec dignité avant de briser le sceau royal de la lettre scellée pour en lire le contenu en silence. Un silence s'abattit sur la salle, même les musiciens cessèrent de jouer, captivés par la scène qui se déroulait devant eux.

"Monseigneur mon cousin,
Ayant appris avec conciliation que vos filles avait repoussé les avances de Léandre Crighton que je leur avait choisi pour prétendant, je vous informe de ma clémence quant à votre désobligeance. Toutefois, vos filles sont arrivées en âge de se marier et je suis soucieuse de leur trouver un parti digne de leur rang. Aussi, je vous demanderai de me confier votre aînée qui rejoindra mes dames d'atour de sorte à ce que je puisse vous venir en aide dans la tâche ardue de lui trouver un époux qui saura lui convenir.
Le messager vous ayant porté ce message est un de mes hommes de confiance, il est chargé de veiller sur elle à partir de ce jour jusqu'à son arrivée sous ma protection, dans une semaine je l'espère.
Votre reine et cousine, Ravenna Dragonbreak, souveraine d'Aurora."

Bien que le ton du message semblât bienveillant, l'ordre qu'il cachait était bien réel. Le seigneur de Forestcave, bien conscient de la situation, tenta de dissimuler son trouble en accueillant le messager comme un invité honoré, cherchant à divertir l'assemblée. Il regarda les musiciens, leur faisant signe de reprendre. Il regarda les musiciens, leur faisant signe de reprendre leurs mélodies dansantes. La tension dans la salle restait palpable, les invités chuchotant et spéculant sur le contenu du message. Pendant ce temps, il rangea discrètement la lettre dans son costume, scrutant la salle du regard à la recherche des trois femmes de son cœur.

Valderic, tendu à l'entrée du messager royal dans la salle de bal, se tint prêt à intervenir au moindre signe de menace. Regrettant soudain l'absence de son épée due à son costume de fête, il surveilla le soldat de la reine du coin de l'œil alors qu'il prenait place dans un coin de la salle. Se demandant ce que pouvait contenir la lettre scellée, il espérait que l'ombre recrutée plus tôt, Erys, pourrait le renseigner sur ce sujet. Le seigneur Warcross avait-il besoin de leur aide ? Valderic se demandait ce que pouvait dissimuler le masque du seigneur en cet instant.

Lorsque la fête reprit, Valderic se tourna vers son frère, affichant un rictus qui trahissait son inquiétude.

"Que penses-tu que contienne cette lettre ?" demanda-t-il, curieux de connaître l'avis de son aîné.

Elyra, ayant séché ses larmes et ajusté son masque sur son visage, suivit sa sœur jusqu'à la salle de bal, ignorant totalement ce qui s'était passé en leur absence et le malheur qui s'était abattu sur leur famille. À leur arrivée, l'ambiance semblait tout sauf joyeuse, la fête avait perdu de sa légèreté et une tension palpable régnait dans la salle. Elyra sentit son cœur se serrer d'appréhension. Que s'était-il passé en leur absence pour provoquer un tel changement ?

Elle tint fermement la main de sa sœur alors qu'elles cherchaient Léoric du regard parmi les convives. Le prince, imposant par sa stature, était facilement reconnaissable. Malgré la tension ambiante, un sourire involontaire illumina le visage d'Elyra à sa vue. Pourtant, elle suivit sa mère et sa sœur à travers la foule pour rejoindre leurs places, une voix intérieure lui dictant que c'était ce qu'elle devait faire à cet instant précis. Elle remarqua que son père cherchait la main de sa mère pour échanger quelques mots avec elle.

"Alors, avez-vous appris l'heureuse nouvelle ?
-Oui... Mais que se passe-t-il ici ?
-Votre cousine nous a fait parvenir une lettre, dépêchée par un messager.
-Ma cous... La reine ? Que veut-elle ?
-Alyna."

Même sans pouvoir lire sur les lèvres, Elyra comprit parfaitement la réponse de son père en voyant le visage de sa mère se décomposer. Inquiète pour sa sœur, elle lui lança un regard presque paniqué.

Le prince héritier était en pleine discussion avec son frère lorsque le soldat rouge avait fait irruption dans la salle de bal. Imposant par sa carrure, il avait fendu la foule sans aucun mal, le message entre ses mains gantées semblant porteur d’un bien mauvais présage. Léoric avait dardé sur l’intrus un regard suspicieux, cherchant instantanément l’Ombre que son frère avait recruté du regard. Évidemment, elle avait disparue, se fondant dans les coins sombres de la salle de bal. Lorsque le maître des lieux lu le message, il ne laissa rien paraître et il accueillit son nouvel invité avec respect. Que contenait cette lettre ? Cette question, tous devaient se la poser dans la pièce. Le silence, pesant, fut bientôt rompu par des murmures et la musique reprit timidement. Un verre à la main, il le vida d’un trait au moment où Valderic lui posait la question qui leur brûlait tous les lettres.

« Je l’ignore, mais cela ne présage rien de bon. »

Très égoïstement, il espérait que cela ne concerne en rien Elyra. Sa fiancée venait d’ailleurs de reparaître, sa sœur et sa mère à ses côtés. Toutes trois semblaient confuses quant à la situation. Il répondit néanmoins au sourire chaleureux que lui offrit la jolie blonde, la laissant profiter de l’instant avec sa famille. Bientôt, ils seraient mariés et elle échapperait au contrôle de la couronne Dragonbreak. Il se tourna à nouveau vers son frère :

« Ton ombre pourrait sans doute nous renseigner sur la lettre et sur son porteur. »

Valderic opina en réponse à son frère, partageant son avis sur l'utilité potentielle d'Erys dans cette situation délicate. Il se rappela soudainement de l'ombre, se demandant où elle pouvait bien être à cet instant crucial. Si elle était restée dans les parages ou si elle avait suivi Elyra à l'extérieur lors de son départ précipité.

"Je vais lui demander, oui," déclara-t-il.

Valderic chercha du regard l'ombre mystérieuse, sachant qu'elle avait probablement entendu leur conversation et qu'elle pourrait leur fournir des informations précieuses.

Au moment où elles reparurent dans la salle, Alyna sentit les regards se faire pesants, les souffles devenir lourds. Les murmures couvraient presque la musique, tandis que leur père apparaissait anormalement troublé. Elle suivit sa sœur, balayant la salle du regard à la recherche d’une quelconque anomalie sans parvenir à mettre le doigt dessus. Que s’était-il passé en leur absence ? Elles s’installèrent toutes à leur place, sur des sièges en bois placés sur une estrade dominant la salle de bal de quelques centimètres. Assise entre sa sœur et sa mère, elle vit son père se pencher à l’oreille de sa conjointe. Les quelques mots échangés lui parvinrent non sans mal, la heurtant avec une violence inouïe. Pâle par nature, Alyna devint mortellement blanche derrière ce masque qui, soudain, semblait peser une tonne sur son visage. Elle l’arracha d’un coup, folle de peur et de colère. Elle ne partirait pas à Nörse, mais ne resterait pas non plus à Forestcave. Elle devrait quitter les murs de son enfance pour partir en territoire inconnu car c’était la capitale qui l’attendait. Pire encore, la reine et sa cour. Personne n’ignorait que la reine trouvait le secret de sa longévité et de sa beauté auprès de ses suivantes ; pas les dames d’atour, elles étaient trop importantes, mais si elles s’écartaient du droit chemin… Alyna serra les poings sur son masque, ses phalanges blanchies par la rage de la nouvelle sans qu’elle ne parvienne, d’abord, à articuler un mot. Ses parents n’avaient plus le choix et ce constat était sans doute le plus terrible. Elle inspira profondément avant de se relever, digne malgré sa pâleur :

« Nous ne devrions pas inquiéter nos invités. C’est la soirée en l’honneur des princes de Nörse. Nous en rediscuterons en temps voulu. »

Alyna n’avait aucune envie de créer un scandale. Et s’il devait s’agir de sa dernière soirée en ces lieux, elle comptait bien en profiter encore un peu.