Quand Alyna avait franchi les rues de la capitale, elle avait pu être frappée par le fossé immense existant entre riches et pauvres. La mendicité était importante sur la route menant au palais royal. Son guide la mena jusqu'à la cours arrière, l'entrée de service réservée au petit personnel et à tous ceux servant la reine de quelque manière que ce soit. Malgré son rang, Alyna n'était pas accueillie ni par une armée de domestiques bien alignée, ni par la reine elle-même, seule se tenait droite l'intendante de la maison de la reine, Ivana Irondusk.

Ivana portait une riche robe rouge à la dernière mode qui flattait agréablement sa frêle silhouette. Plutôt petite, son regard scrutateur et ses grands airs la distinguait du commun, l'enveloppait d'une aura d'autorité. Elle avait été prévenue de l'arrivée imminente de la nouvelle demoiselle de compagnie de sa Majesté et l'attendait donc. Aussi, quand elle vit les cavaliers arrivée s'avança-t-elle pour les accueillir. Attendant qu'ils posent pieds à terre pour déclarer :

"Mademoiselle Warcross, soyez la bienvenue à Hightower. Capitaine. Nous ne vous attendions plus. Monsieur, vous pouvez rejoindre sa Majesté."

Sa voix était froide et posée, sans une once de malveillance toutefois. C'était une dame de qualité, respectée et habituée à être obéie. Elle avait incliné légèrement la tête à l'attention du capitaine de la garde privée de la reine de manière détachée, libérant celui-ci de sa mission pour lui permettre de retrouver son poste auprès de sa demi-soeur au plus tôt - et sans aucun doute lui faire son rapport -. Elle se chargerait à présent d'Alyna Warcross en personne.

"Mademoiselle, si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à votre chambre."

Habituellement, les demoiselles de compagnie partageaient la même chambrée mais au vue du rang de la jeune fille, il avait été décidé qu'elle aurait sa chambre à elle, une petite chambre lui avait donc été préparée - la reine ne doutant pas d'être obéie -, petite mais confortable pour qu'elle ne trouve pas à s'en plaindre. Sur le chemin, bien que devançant légèrement la nouvelle venue pour la guider dans le labyrinthe des couloirs du palais, une fois les formalités de l'accueil passées, elle se fit quelque peu plus loquace, l'informant d'une voix plus chaleureuse :

"Je suis Ivana Irondusk, dame de compagnie de la reine depuis sa prime jeunesse et intendante de la maison royale. Une chambre vous a été préparée, vous ne serez présentée à sa Majesté que demain matin, cela devrait vous permettre de vous détendre un peu après votre long voyage."

Elle lui adressait à présent un sourire bienveillant et si ses paroles ne laissaient pas la place à la moindre protestation, elle se fit plus douce encore à l'évocation de ce périple, reprenant rapidement :

"J'espère que vous avez fait bonne route, et que la compagnie de Sire Fireborn ne vous fut pas trop déplaisante, je le connais assez pour savoir qu'il ne goûte guère aux joies d'une bonne conversation. Si vous avez la moindre question, le moindre besoin, vous pouvez me les adresser à tout moment..."

L’entrée d’Alyna dans l’enceinte d’Hightower avait été un véritable choc. Tout ici était un déluge de couleur, d’odeurs, de gens. Fille de la campagne, tous ses sens étaient mis à rude épreuve. Malgré les avertissements d’Edris, elle ne pouvait s’empêcher de dévorer avidement du regard chaque créature qui croisait son chemin. Des petites gens à pied, des chevaliers à cheval, des seigneurs et des dames transportés en litière ; toutes les strates de la population étaient représentées. Ce qui la frappa, c’était surtout le nombre de mendiants, d’estropiés et saltimbanques jetés à la rue, d’orphelins crasseux dont le regard cave cherchait une âme à dépouiller. Jusqu’ici, Alyna n’avait eu qu’une idée assez vague de la pauvreté et, plus que jamais, se sentit privilégiée. Son garde du corps l’entraîna dans des ruelles pentues en direction du palais qui dominait la cité. Installé sur une colline artificielle, l’édifice était impressionnant et ne semblait pas souffrir de son âge millénaire. La magie était à l’origine de sa création ; elle continuait donc à l’entretenir. Leur groupe passa sur un pont en pierre qui enjambait une autre voie où passaient des gens à pied. La jeune fille aperçut alors une petite cour dont l’accès se faisait par une porte cochère frappée du blason des Dragonbreak. Elle était arrivée.

Perchée sur sa monture, Alyna était encore hébétée par tout ce qu’elle venait de voir. Elle tentait de retrouver contenance, posant pied à terre lorsque la femme qui siégeait dans la cour s’approcha d’elle et de son protecteur. Elle passa distraitement une main dans sa chevelure argentée pour y remettre de l’ordre. Sa tenue n’était pas la plus féminine, ni la plus adaptée pour se présenter à celle qui serait – elle s’en doutait – sa supérieure hiérarchique. Elle exécuta une légère révérence et, sans pouvoir placer un mot ni remercier Fireborn pour sa compagnie, suivit d’un pas rapide la frêle dame de compagnie. Malgré ses petites enjambées, son pas était militaire. Cette femme avait l’habitude de se faire obéir. D’elle émanait une autorité naturelle, presque écrasante pour une âme moins libre que l’était Alyna. En quelques mots elle se présenta : Ivanna Irondusk. Irondusk. Alyna se remémora l’arbre généalogique aperçu dans la bibliothèque familiale ; n’était-elle pas mariée ? Elle garda évidemment ses questions pour elle, n’ouvrant la bouche que pour répondre aux interrogations de l’intendante de la maison royale.

« Sire Fireborn n’était certes pas le plus loquace, mais il savait parler quand cela était nécessaire. Sa présence fut étonnamment réconfortante après mon départ précipité de Forestcave. » fit la jeune fille sur un ton badin, mais non moins sarcastique. Après tout, elle n’était pas là par sa volonté propre, ni par celle de ses parents. Elle ferait ce qu’on exigerait d’elle, en espérant que la souveraine ne se mette pas en tête de la marier trop rapidement. « Quelles sont exactement les fonctions d’une intendante de la maison royale ? Et celle d’une dame d’atour ? » poursuivit la jeune fille en marchant dans les couloirs, observant les tapisseries exposées sur les murs. Celles-ci représentaient la conquête, un sujet sanglant à la gloire des Dragonbreak.

Ivana, malgré sa petite taille, arborait une démarche vive et déterminée alors qu'elle guidait Alyna à travers les dédales du palais. Son pas rapide et assuré reflétait son occupation constante, et malgré le monologue de présentation qu'elle avait entamé, elle ne montrait aucun signe d'essoufflement. Elle semblait être habituée à un rythme de vie effréné, et elle ne tolérait aucune traînerie de la part de ses interlocuteurs. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre de la part de la jeune fille qu'elle accueillait en ce jour et que l'on lui avait décrit comme étant une véritable sauvageonne. Force était toutefois de constater qu'elle savait se tenir pour le moment.

Elle nota que loin de se plaindre, Alyna désigna le capitaine de la garde personnelle de la reine comme étant de bonne compagnie, parlant peu mais de manière efficace, elle reconnaissait bien là l'homme d'arme qu'il était et qu'elle avait l'habitude de côtoyer depuis longtemps. Elle se rappelait que plus jeune toutefois, cet homme imposant et taciturne, avec ses airs bougons, l'impressionnait et la terrifiait à la fois. Elle se souvenait du frisson qui avait parcouru son échine quand l'heure de la grande purge avait sonné et qu'elle avait appris qu'il avait mis à mort ses fils sans une hésitation, par pure loyauté. Elle qui ne parvenait alors pas à donner la vie s'en était quelque part félicitée, ignorant si elle aurait pu en faire autant fusse pour la Reine qu'elle servait avec dévotion.

Elle nota également le sarcasme dans sa voix quand elle évoqua son départ précipité de son foyer. Il était vrai que sa Majesté avait laissé un délai relativement court à la demoiselle pour rejoindre la cour mais elle ne voulait pas que par un énième stratagème, sa cousine ne déjoue à nouveau ses plans. Elyra avait échappé à son pouvoir en se fiançant au prince de Nörse, échappant ainsi à sa juridiction, Alyna serait sienne. Ivana se souvenait de la colère de son amie et souveraine quand elle avait entendu le rapport du gouverneur, lequel avait semblé déçu qu'elle ne prenne pas de mesures plus drastiques à son avantage. Aussi l'intendante de la maison royale ne s'offusqua pas de la remarque et la releva à peine, se contentant de pincer les lèvres, elle pouvait se plaindre si elle le voulait, cela ne changerait rien à la situation.

Elle continuait de gravir les étages quand la jeune femme lui demanda enfin quel était son rôle auprès de la reine et quel serait le sien. Ivana eut un sourire bienveillant à ces deux questions qui étaient tout à fait légitimes pour la provinciale qu'elle était, ignorante des usages à la cour et non préparée à occuper une telle place. Elle passèrent devant une tapisserie à la gloire des Dragonbreak sans qu'Ivana ne la remarque vraiment, continuant de marcher tout en lui répondant d'un ton calme et doux :

"Votre temps sera occupé principalement à servir la reine et à veiller à ses distractions. Vous évoluerez sous sa royale protection à la cour, lui ferez la lecture, broderez ou danserez à son bon plaisir. Quant à moi, ma tâche est de veiller à ce que tout soit en ordre et à sa juste place."

Sa voix douce et rassurante, empreinte de bienveillance, semblait chercher à rassurer Alyna, lui offrant un aperçu de ce à quoi elle pouvait s'attendre dans son nouveau rôle à la cour. Toutefois, elle sous-entendait également l'importance de rester à sa place et de respecter les règles de la cour.

Les doigts d’Alyna glissèrent secrètement contre les fils de la tapisserie, effleurant les traits d’une figure finement tissée dont les doigts laissaient échapper une brume mortelle. Elle était fascinée par ces œuvres centenaires, montrant toute la potentialité d’un peuple désormais en déchéance. Un peu à la traîne, elle pressa le pas derrière l’intendante. Le rythme qu’elle imposait était effréné et elle ne s’attardait guère dans les couloirs pour la laisser jouer au touriste. Elle devait connaître chaque pièce du château sur le bout des doigts, songea Alyna en gravissant à nouveau les marches d’un escalier à vis. Elle aurait été incapable de revenir dans la cour si on le lui avait demandé. Tout ici lui paraissait immense, démesuré, des plafonds aux portes jusqu’à la largeur des couloirs. C’est sans doute ce que l’on exigeait d’une maison royale.

D’un sourire, Ivana lui expliqua quels seraient ses devoirs en tant que dame d’atour : lecture, broderie, danse. Rien de tout cela ne lui était inconnu, mais cela lui paraissait bien inutile. La reine ne s’ennuyait-elle pas de voir des jeunes filles écervelées se précipiter pour la divertir, tout cela dans l’espoir de faire un bon mariage ? Alyna ne parvint pas à cacher sa déception : « Et c’est tout ? Que sommes-nous supposées faire le reste du temps ? »

Leurs pas les conduisirent dans une aile où étaient rassemblées d’autres jeunes femmes de son âge ou un peu plus âgées. Certaines avaient passées la tête en dehors de leur chambre pour observer la nouvelle venue, chuchotant à l’oreille d’une voisine quelques remarques sur sa tenue ou, plus généralement, sur son lignage. Alyna leur lança un regard farouche, marchant le dos droit et la tête haute dans les couloirs du palais. Une pensée la traversa soudainement : devrait-elle partager sa chambre ? Cette idée la mit mal à l’aise et lui fit penser à sa jumelle. Elle espérait que tout allait bien pour elle et qu’elle arriverait bientôt à Nörse avec son prince charmant. Dès qu'elle le pourrait, elle lui écrirait pour lui parler de ses aventures, d'Edris Fireborn le soldat taiseux et d'Ivana Irondusk. Peut-être même en esquisserait-elle un croquis voire - si elle était d'humeur - une jolie caricature pour faire sourire sa soeur à l'autre bout du royaume. Elle osa interroger à nouveau la générale en chef de l'armée des dames de la reine :  « Quand pourrais-je écrire à ma famille ? »

Tandis qu'Alyna Warcross foulait pour la première fois le sol du palais royal de ses pas, précédée d'Ivana Irondusk, cette dernière avait pleinement conscience de la curiosité qui devait certainement accaparer les pensées de la jeune fille. Toutefois, si elle se ferait un devoir de la guider lors de ses premiers jours à la cours, elle n'avait rien d'un guide touristique et voyait en la flânerie un vilain défaut, un luxe qui ne lui était que bien rarement permis. Aussi n'était-il pas question de ralentir ou de marquer un temps d'arrêt même pour laisser passer un domestique chargé comme une mule qu'elle força à s'arrêter d'un geste de la main empreint d'autorité afin de passer devant lui ou un noble auquel elle coupa la route de son pas altier menaçant de lui écraser les orteils si il ne s'était figé en la voyant, exécutant une légère courbette de courtoisie à laquelle elle ne répondit pas.

L'intendante de la maison royale était comme en son domaine en ce palais où tous semblaient à la fois la respecter et la craindre au moins autant que si elle avait été la reine. Si elle était consciente d'être obéie au doigt et à l’œil, elle n'avait toutefois pas conscience de l'entièreté de son influence. Elle eut un sourire en regardant la jeune fille, amusée de son étonnement quant au résumé sommaire qu'elle lui avait fait de ce que serait son rôle à la cour. Elle le lui adressa avec calme, conciliante tout en répondant à sa question :

"Vous recevrez différentes leçons mais la majeure partie de votre temps sera occupé à servir la Majesté dans les termes que je vous ai énoncer."

Il n'était pas question qu'elle se répète, la jeune fille n'avait rien d'une simple d'esprit et avait donc dû comprendre ce qu'elle avait dit précédemment. Elle pénétra dans l'aile attribuée aux demoiselles de compagnie, le bruit caractéristique de ses pas sur le sol attirant l'attention de celles se trouvant là qui se mirent à les épier et à bavasser. Elle les rappela à l'ordre en frappant dans ses mains, sa voix, forte et autoritaire, mais bienveillante se faisant entendre :

"Allons du calme mesdemoiselles, le souper de la reine est pour dans cinq minutes, vous devriez déjà y être. Elvida, une dame ne cours pas, une dame se hâte, si vous ne savez pas faire la différence, peut-être devriez vous être plus attentive en cours de maintien. Gwenadiel, éloignez vous de ce miroir avant de vous noyer dans votre propre reflet. Hop, hop, hop !"

Elle n'avait pas ralenti, mais affichait une moue désappointée devant l'incorrection des jeunes filles qu'elle était une nouvelle fois obligée de houspiller pour leur manque de ponctualité. Finalement, elle entra dans une pièce où tout avait été installé :

"Voici votre chambre, toute visite masculine y est naturellement interdite. Vous trouverez dans le bureau de quoi écrire à votre famille si c'est là votre souhait. Comme je vous le disais, votre service ne commencera que demain, je vous présenterai à vos camarades à ce moment là. Libre à vous de disposer du temps qui vous est allouer pour vous installer comme il vous plait."

Elle parcourut d'un regard la petite chambre, s'assurant que tout était soigné dans les moindres détails, dû juger être satisfaite car elle hocha légèrement la tête, elle se tourna alors vers Alyra :

"Bien. Sur ce mademoiselle Warcross, je vous souhaite une bonne soirée et une bonne nuit."

Elle se détourna et allait quitter la chambre quand elle s'arrêta, marquant une légère pause dans sa course infernale :

"D'ailleurs Alyra, bienvenue à Hightower."